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Mudjansa Hip-Hop Version Congo : « La musique a commencé en Afrique »

Cet article a été rédigé avec l’accord de Anne Nguyen ancienne rédactrice du magazine Graff It, un remerciement spécial à Olivier Jacquet, rédacteur en chef de Graff It (Magazine qui n’existe plus).

Capitale de la République Démocratique du Congo (RDC), elle est le berceau de la musique et de la danse Ndombolo, inspiration de nombreux courants musicaux en Afrique, comme le coupé / décalé. C’est une ville où les coupures d’électricité font partie du quotidien, où la plupart des rues sont en terre et où l’on entend de la musique à toute heure. A Kinshasa, devant une bière, devant chez soi et partout, de la petite fille au monsieur en costard-cravate, tout le
monde danse.

La danse hip-hop à Kinshasa a commencé dans les années 80 par le Tshiken, un style similaire à la Hype, avec des pas sautés. Puis est venu le Djanspile, une danse à la Michael Jackson, et dont le nom est une déformation de « Just beat it ! ». Dans les années 90, le terme se transforme en « Mudjansa » et rassemble tous les jeunes portant afro, tresses, pantalons larges, qu’ils soient danseurs, rappeurs ou juste amateurs de style hip-hop. On les appelle aussi les « Yo ! Yo ! », les « Ye ! Ye ! » ou les « Boutshikiben », en référence à l’habillement, à la démarche et à la musique hip-hop. D’autres termes, plus récents, sont plus discriminatoires, comme ceux de « Distrait » ou d’ « A.P. C. » (Américain Perdu au Congo).

« On appelle les rappeurs les « Rêveurs » », dit DJ Soul, qui a suivi l’évolution du hip-hop depuis ses débuts à Kinshasa. Soul mixe à Vodaclub chaque week-end, devant un public parfois peu nombreux, faute d’argent et de moyens de transports fi ables. « Moi je comprends qu’on les appelle comme ça, parce que les moyens et la culture kinoise ne permettent pas l’épanouissement de cette musique. Premièrement, l’aspect professionnel reste très précaire : à part Lexus et Marshall, peu de rappeurs s’en sortent financièrement. Beaucoup de choses manquent à Kinshasa : une usine à CDs, du matériel de sono, des écoles de musique… En plus de ça, le congolais ne sait pas acheter un CD, alors difficile de développer un marché. Deuxièmement, la musique américaine accroche moins les gens ici qu’en Europe. En Afrique, on n’a pas les mêmes bases musicales qu’en Occident. On a notre identité, on accepte difficilement les influences étrangères. »

« La musique a commencé en Afrique… » (DJ Soul)

A Kinshasa, la culture, c’est le Ndombolo. Les chanteurs de Ndombolo (J.B., Werrason, Wazekwa…) font leurs enregistrements de clips en public. L’entrée est soit gratuite, soit payante (de 300 à 400 francs congolais, ce qui équivaut à environ 50 centimes d’Euro). Les gens peuvent donc participer aux chorégraphies (au final, seules des danseuses seront retenues pour apparaître à l’écran). Avant la sortie du clip, tout Kinshasa dansera déjà les mêmes pas… Le Ndombolo se décline en plusieurs styles, avec chacun sa gestuelle spécifique, imagée : le Linda Castro, le Mutuya Liboma a Liaka na Fulu (les fous qui mangent aux poubelles), le Lidusu (le trou), le Na Kobamba Ngomdo (on va vous fouetter avec la matraque), le Mbasu (le sort qu’on jette aux voleurs) comptent parmi les plus populaires.

« Contrairement au Ndombolo, le hip-hop n’existe à Kinshasa que depuis 20 ans, explique DJ Soul. Il est arrivé dans les années 80, à l’époque des New Edition. Il y avait du hip-hop sur MTV, MCM Africa, RFO, TV5… Mais peu de maisons recevaient ces chaînes de télévision. A la base, le hip-hop n’était populaire qu’auprès de ceux qui allaient dans des écoles bien, qui habitaient dans des quartiers bien… Les garçons qui allaient en vacances en Europe revenaient en frimant, pour essayer de mettre leurs amis dans le bain… Et c’est de là qu’est parti le mouvement hip-hop. Ça a commencé dans les boîtes, les boums, les barbecues… C’est la boîte l’Atmosphère qui rassemblait tous ces jeunes le week-end. L’accès était difficile : il fallait être « le fils de… », ou « l’ami du fils de… » Les rappeurs se sont improvisés… Ensuite, les DJs et rappeurs de cette génération se sont exportés en Europe, ce qui a laissé comme un vide à Kinshasa. On les a mis sur un piédestal, et on s’est promis que quand ils reviendraient, ils verraient que le mouvement avait évolué. De cette volonté est née toute la génération d’artistes actuels. »

« Notre danse, c’est un mélange de Ndombolo et de danses hip hop. »  (Billy Black Biladi, du groupe Spirituel Singers)

« Ici, dit DJ Soul, au niveau culturel, il n’y a que quelques rares ateliers au Centre Culturel Français, et à part ça, rien ! Les Belges ne nous ont pratiquement rien appris de leur culture, il n’y a que les français qui l’ont un peu fait, notamment en faisant venir leurs artistes. »

Mais les initiatives, même si elles sont soutenues par les institutions, viennent principalement des Kinois : Djodjo Kazadi (Studios Kabako), est à l’origine du projet « Mudjansa » : en 2003, il organise le premier concours de danse hip-hop à Kinshasa. Puis en 2004, une formation en
danse hip-hop, qu’il élargit au Ndombolo et à la danse contemporaine en 2008, avec à l’issue la création d’un spectacle. Djodjo considère le Ndombolo comme une danse urbaine, au même titre que le hiphop.
« Je cherche à favoriser la rencontre entre les danseurs de rue de Kinshasa, explique-t-il. » A Kinshasa, chaque danseur a sa propre personnalité. Pas de formatage dû à Internet, encore peu présent dans une ville où les stands des vendeurs de rue sont éclairés à la bougie, et où l’électricité est coupée un jour sur trois pour des raisons d’économie d’énergie. La danse est riche, sans barrières, les influences s’y côtoient naturellement. S’il ne l’a pas déjà incorporé
dans sa danse, même le breakeur le plus endurci saura passer au Ndombolo en un clin d’oeil…
« Art-Con, parce que c’est de l’art, et parce qu’on fait du con ! » (H2O, du groupe Natural Bayende Art-Con)

MUDJANSA HIP-HOP VERSION CONGO

Parmi les danseurs sélectionnés pour participer à la formation, on compte des danseurs de Brazzaville (groupe Boom Danger et compagnie Racine) et de Lubumbashi (groupes No 100 Sur et Harlem), mais surtout des représentants des meilleurs groupes de Kinshasa : Art-Con, Spirituel Singers, Folie Dance… Avant 2004, le groupe le plus connu à Kinshasa était F. M. (Foux la Merde), vainqueur du premier concours de danse hip-hop organisé par Djodjo. Depuis cet événement, le niveau et le nombre de groupes a explosé, et les battles sont de plus en plus nombreux (Académie des Beaux-Arts, Mama Mobutu, Foire Internationale de Kinshasa…). Les Mudjansa ont de l’ambition. Le groupe Art-Con a plusieurs projets en cours : la création d’un spectacle, la participation au fi lm « Total Respect » de Masola, et le concept « Break it Down », qui consiste à danser en jouant avec les principes de l’équilibre et de la chute sur le terrain de l’environnement urbain (murs, escaliers, poteaux…). Parce que « le break, c’est une forme de combat avec le sol », explique H2O, l’un des leaders du groupe. Difficile pourtant à Kinshasa de s’entraîner au break dans la rue : le sol, c’est de la terre… Les Art-Con s’entraînent sur quelques mètres carrés de béton, dans la cour d’une maison, devant un public assidu et communicatif, où tous les âges se côtoient. Les Spirituel Singers, eux, s’entraînent dans la pièce principale d’une maison, et préparent eux aussi un spectacle, ainsi qu’un album, puisque plusieurs membres du groupe sont aussi chanteurs. Doudou Saidi, qui participe au projet « Mudjansa » depuis sa création, a monté son école de danse, Mekadance, au cercle sportif Ask (Ngaliema).

MUDJANSA HIP-HOP VERSION CONGO
Les Mudjansa sont loin d’être aussi distraits qu’on pourrait l’imaginer. Beaucoup sont étudiants et se destinent à des carrières dans les sciences, le commerce, les beaux-arts… Au Congo, les jeunes ont un véritable désir de prendre les choses en main.
« Aller de l’avant ! » (devise des Spirituel Singers)

« Les artistes hip-hop kinois transmettent un vrai message, ils ont un vrai fond, dit DJ Soul. Beaucoup plus que les chanteurs de Ndombolo, par exemple. Quand le rap a commencé, les jeunes frimaient en se lançant des quolibets : nous on a la plus belle voiture, on sait bien s’habiller, on est les plus beaux… Certains ont commencé à répliquer en disant que pour une vraie personne, la beauté est à l’intérieur. Ça a lancé la philosophie du hip-hop à Kinshasa. Chaque artiste a sa philosophie : Patcha Bay prône l’amour, Lexus se révolte contre les abus dans le pays… »

A Kinshasa, les notions de respect et de solidarité se vivent au quotidien : dans une ville aussi surpeuplée et aux conditions de vie difficiles, ce sont elles qui garantissent le bien être des habitants. Associées à la joie de vivre naturelle des Kinois et à l’esprit d’entreprise qui anime la nouvelle génération, elles promettent de faire grandir le mouvement hip-hop sous une forme revivifiante,
version Congo.

Anne Nguyen

Photo© Lobi Etablissements
Remerciements : Steev Biladi (Spirituel Singers), DJ Soul, Guelor R.M.X.
Vulu et Trésor H2O Lenkebe (Art-Con), Djodjo Kazadi, Daddy Mbaki (Lobi
Etablissements), Eric Yaone (Mekadance).
Références : Ecole Meka Dance – http://mekadancerdc.hi5.com

PANORAMA DU HIP-HOP A KINSHASA

Les groupes de danses et leurs communes : Natural Bayende Art- Con (Boulevard Lingwala Kinshasa), Spirituel Singers (Bandalungwa), Folie Dance (Barumbu), Fire Music of Christ (Kasa-Vubu), Speed Zone (I.P.N.), Garomen (Kintambo), Red Zone (Camp-Kokolo), Hot Boys (Kintambo), Sky Music (Matonge), Killer Dance…
Le graffiti : Le graffiti est quasiment absent des rues de Kinshasa. Une peinture sur un mur à l’Académie des Beaux-Arts, une dans la cour où s’entraîne le groupe Art-Con… La raison principale : pas de bombes pour peindre !
Les rappeurs : Lexus Legal, K.M.S., N.M.B., Sly, Christo, Miss H.K., Mani2, Raidec, Matrix Melodie…
Les chanteurs R’n’B : Patcha Bay, Marshall Dixon, Icham, T-Mak, Madu & Fofo, Zena, Lisa, Spirituel Singers, Romeo, B.H. …
Les DJs et leurs boîtes : Malik, La Rage (36), Soul (Vodaclub), Indien (La Montoise), Franck (chez Ntemba), Mike (Bea Zottegem), Bramso, et aussi Daddy sur Radio Okapi. Tout se fait sur platines CD et ordinateur.
Les studios d’enregistrement (encore rares) : Winner à Mama Mobutu, Ultra Décibel à I.P.N. , Meko à Limete, Tony Bass à Haut Commandement, Roony à Kintambo, Ndiay à la Gombe, Bobongo à Bon Marché…

Anne

Danseuse et chorégraphe de la Compagnie par Terre, Anne Nguyen est avant tout breakeuse. Elle a dansé avec plusieurs groupes de break (RedMask à Montréal ; Phase T, Def Dogz et Créteil Style à Paris…), et a participé à des centaines de battles, en solo ou en groupe, dont plusieurs d'envergure qu'elle a remportés comme l'IBE 2004 ou le BOTY 2005. Elle a jugé de nombreux battles, comme le BOTY 2006 ou le Redbull BC One 2007. Elle apparaît dans le film documentaire Planet B-Boy (2007). Après avoir été interprète pour des compagnies hip-hop et contemporaines, Anne Nguyen crée la Compagnie par Terre en 2005 pour mettre en avant les principes et énergies de la danse hip-hop dans des spectacles aux symboliques universelles. Elle a créé plusieurs pièces dont le solo Racine Carrée (2007), les duos Yonder Woman (2010) et Lettres à Zerty (2015), la marche pour huit poppeurs PROMENADE OBLIGATOIRE (2012), le quatuor féminin Autarcie (....), création 2013, et le "bal mécanique sur musique de chambre" bal.exe, création 2014 pour huit poppeurs et cinq musiciens classiques. Combinant une danse technique et performante à une écriture chorégraphique très graphique, déstructurée et épurée, ses créations évoquent l'abstraction et questionnent la place de l'être humain dans le monde contemporain. Anne est également auteure de poèmes, de textes courts et d’articles sur la danse (Danser, Repères, cahier de danse). Des extraits de son recueil de poèmes le Manuel du Guerrier de la Ville ont été publiés dans le magazine Graff It !, pour lequel elle a été rédactrice en chef de la section danse. Elle mène depuis 2012 à Sciences Po Paris un atelier de pratique artistique et de réflexion sur la danse hip-hop, intitulé Hip-hop, une culture contemporaine. En 2016, Anne Nguyen créera Danse des guerriers de la ville, un parcours choré-graphique participatif et immersif composé d’une dizaine d’installations et de performances dansées in situ, inspiré de ses poèmes du Manuel du Guerrier de la Ville. En 2017, elle créera Kata, un spectacle pour huit breakeurs mettant en forme l’énergie guerrière du break.

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