B-boyingDanse

On the Floor – Original B-boys : Def Dogz (Partie 2)

Durer dans le temps

« Il faut s’inspirer, mais pas pomper*, dit Gas. Utiliser les bases. » « Si tu refais le move d’un autre, alors que vous n’avez pas le même corps, pas le même Break, ça ne va pas donner la même chose sur toi, dit Yero. Il se peut que tu n’arrives jamais à maîtriser le move… Reveal (Rock Force) s’est inspiré de Kamel (Boogie Brats), mais Kamel est grand, ses mimiques, son attitude, ses moves sont en fonction de sa taille. Reveal n’a pas le même corps, ça a donné un autre style. » « Voire mieux, à l’époque, dit Rudy. » « Dans Who Can Roast the Most*, Kamel a dit de Reveal : ‘il fait mes mouvements, mais parfois mieux que moi !’ » « Mais dans le temps, Reveal n’a pas duré ! dit Rudy. » « Alors que Kamel, il est toujours là, dit Gas. Il n’y a qu’à regarder Freestyle Session… Avant, les mecs n’acceptaient pas que tu pompes, tu pouvais te manger des pêches pour ça… » « Aujourd’hui, dit Yero, les mecs disent : ‘Tu m’as pompé, viens, on règle ça dans la danse !’ C’est logique, ça ? Une fois que tu auras réglé ça dans la danse, le mec va continuer à faire la même chose ! En plus, il peut croire qu’il t’a fumé. Ou se permettre d’aller dire que c’est lui qui avait fait le move en premier… Il ne faut pas pomper. Il faut partir du début : travailler les bases, les phases… Quand tu regardes les mecs qui sont super forts, les américains par exemple, il y a des années de travail derrière ! Ils dansent depuis parfois 15 ans, ou plus… Ils ont suivi l’évolution de la danse : avant, la mode, c’était les phases, les bases… Quand tu as des acquis solides, que tu as plein de bases, c’est là que tu peux commencer à développer. Tu ne peux pas devenir plus fort qu’un de ces mecs en deux ans ! Si c’est ça ton objectif, alors tu pars dans une mauvaise direction dans ta danse ! Rien ne sert de courir… »

Def Dogz crew not only hip hop
Def Dogz

Des bases pour improviser

« Avant, c’était mieux parce qu’il n’y avait pas beaucoup de battles, dit Rudy. Ceux qui commencent la danse aujourd’hui se disent : ‘il faut que je fasse des passages pour ce battle…’ Avant, on s’entraînait en se disant : ‘il faut que je m’entraîne pour avoir les mouvements, pour avoir plein de trucs…‘ Mais même nous, à un moment, on a arrêté de travailler les bases pour faire des passages de battles. Ca a gâté notre danse ! Après, on a été obligés de revenir aux bases… » « Les passages, écrits du début à la fin, il faut en avoir, dit Gas. Il faut aussi avoir des codes, et faire de l’impro. On a déjà dansé contre des mecs dans des cercles pendant une heure, sans se répéter. Sans improvisation, c’est impossible. » « On a moins de passages que de trucs personnels, de codes, dit Rudy. Et pour improviser, il faut des bases. » « Si tu n’as pas de bases, tu vas improviser de la vraie merde ! dit Gas. Il y a des mecs qui sont connus, mais qui n’ont que 10 passages… Ils savent que quand il y aura un battle, ils vont faire leurs 10 passages, et ça va s’arrêter là. Et quand il y aura un cercle, ils seront là tout droits, sans bouger… » « Parfois moins que 10 passages ! dit Yero. En équipe, 5 ou 6 passages suffisent ! Et les mecs se font un nom avec ça… Tant mieux pour eux, mais c’est une autre mentalité, pas celle du B-boying en tous cas. »

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Willy boy

Culture Hip-Hop

« Indirectement, la mentalité en France influence tout le monde, dit Yero. Même ceux qui ne veulent pas rentrer dedans le font, parce que c’est ce qu’ils voient, ce qu’il y a autour d’eux. Il est important de voyager : à l’étranger, les danseurs n’ont pas la même mentalité, ils ont un autre délire. » « Le vrai Break, le vrai B-boying, il n’est pas en France, dit Gas. Il est aux States et dans les pays scandinaves. Nous, on ne cherche plus les ambiances en France.» « C’est parce que les pays scandinaves ont appris avec les anciens ! dit Yero. » Xisco et Menno, les deux hollandais du groupe, sont rentrés dans le groupe en 2005. « Xisco nous avait déjà vus danser à IBE 2002, dit Yero. A Floorwars 2005, il est venu représenter dans notre cercle. Pour lui, rentrer dans Def Dogz, c’était comme un rêve : il mettait le groupe au même niveau que Boogie Brats ou que Skill Methodz (Miami)… Quand il est venu en France un peu plus tard, on a organisé un petit battle contre Kareem, ça a officialisé son entrée dans le groupe. Quelques mois plus tard, Menno l’a rejoint. » A IBE 2005, Xisco représente Def Dogz au 7 to Smoke (où il se retrouve face à Gas, également participant), et le groupe au complet se déchaîne dans les cercles. « On se voit surtout quand on est invités dans les battles, dit Yero. Parfois, Xisco et Menno viennent s’entraîner ici, sinon, on va s’entraîner en Hollande. » Les deux hollandais sont les plus jeunes du groupe, ils ont autour de 18 ans… En ce moment, ils gagnent un grand nombre de battles 1 vs 1 et 2 vs 2, en France et en Europe (Circle Kingz 2007, UK Championships 2007…) Yero voyage souvent aux Etats-Unis, à New-York et dans le New Jersey. Il y a rencontré des danseurs comme Abstract, Technik (Skill Methodz). Lui et Gas se sont fait remarquer dans les cercles à Eastcoast Overdose 2004. « Aux States, dit Yero, le Hip-Hop est une culture, un mode de vie. Les danseurs ont grandi dedans, ils ont toujours écouté de la musique hip-hop… Des petits de 10 ans, qui vont encore à l’école, connaissent plus de sons que la plupart des français. Les adultes de 50-60 ans ont connu les premiers battles, et à leur époque, dans les soirées, tout le monde faisait des top rocks… Ils connaissent la musique et la culture hip-hop, ils peuvent l’apprendre à leurs enfants. Ici, on écoute Lorie, et ce qu’on diffuse, c’est la Star Academy… En France, les gens qui ont la trentaine, la génération Sydney, connaissent le Break pour la plupart. Nos grands frères ont tous breaké un peu. Mais maintenant, le Hip-Hop est moins côté qu’avant. Il est partout, mais ce n’est pas le même. » « Il est mal diffusé, dit Rudy. Tout est commercial : le rap, la danse… » « Les évènements aussi, dit Yero. Aujourd’hui, ceux qui organisent de évènements dans l’esprit de ce qu’il y avait avant, comme les ambiances Block Party, avec des graffeurs, des DJs, des danseurs, ce sont les anciens, les connaisseurs. Les jeunes ne penseraient jamais à faire des trucs comme ça… Pour eux, Hip-Hop, c’est passer à la télé, faire des clips, se montrer… C’est ça qu’ils recherchent. Si tu vas à la Coupole à la Défense, la plupart des jeunes font de la New Style*. Ils veulent être ‘côtés’, que tout le monde les reconnaisse quand ils marchent dans la rue… Quand tu kiffes le Break, tout ça, tu t’en fous ! »

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Menno

Vivre de la danse

« Aux States, il y en a qui gagnent bien leur vie avec le B-boying. Mais en France, le mouvement n’est pas assez mis en avant pour qu’on puisse en vivre, dit Gas. Nous, on danse parce qu’on kiffe, on n’attend pas d’argent. Si je dois faire un plan payé, je le ferai, à condition que je puisse faire mon kiff, montrer du vrai B-boying, et non pas ce que les gens voudraient que je fasse ou ce qu’ils kiffent. » « Tu peux te faire de l’argent avec la danse, dit Yero, mais ça ne va pas durer éternellement. Et puis tu prends un risque : ton outil, c’est ton corps, et si tu te pètes un bras demain, ta carrière est foutue, tu seras en galère ! Si tu as des objectifs dans la vie et que tu veux réussir, mieux vaut ne pas compter sur le Break. » La plupart des membres du groupe travaillent dans des secteurs bien éloignés de la danse : Rudy, dans la gestion, Roméo, dans l’informatique…

Montrer la danse

Pas de spectacle pour gagner de l’argent en dansant, donc. Et pour montrer le B-boying ? « Le Hip-Hop, c’est un mouvement qui est là pour tout le monde, dit Gas. Pas juste pour ceux qui ont de l’argent pour aller voir des spectacles. La rue, tu es obligé d’y passer, que tu sois pauvre ou milliardaire. A l’époque, les B-boys faisaient des shows dans la rue, c’est comme ça qu’ils montraient leur danse à tout le monde. » « Et encore aujourd’hui, dit Yero. Va à New York en plein décembre, quand il neige, les B-boys seront dans les stations de métro à danser… En France, le mouvement est déjà trop lancé, tu ne peux pas le modifier du jour au lendemain. Les jeunes ont déjà leur idée de ce qu’est la danse. Il y a tellement de Break, tellement de vidéos, que si on faisait un spectacle, ça ne servirait peut-être pas à grand-chose… Les gens ne feraient peut-être pas la différence, ou même n’aimeraient pas… » « C’est le marketing, dit Rudy. Si tu sais vendre ton spectacle, les gens vont aimer. Si tu fais des choses trop techniques, ils ne vont pas aimer, parce qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne comprendront pas. C’est comme dans le rap : ceux qui sont trop techniques, trop forts, n’arrivent pas à vendre. Il faut être formaté. » « Pour éduquer les mentalités, dit Yero, il faudrait par exemple que dans les battles, quelqu’un prenne le micro et lance des débats, raconte un peu d’histoire… Qu’il prenne un mec du public au hasard, qu’il lui demande pour quoi il breake, s’il connaît l’histoire, et qu’il lui donne des réponses… Aux States, ça se fait. » « Ceux qui présentent les battles devraient être de vrais showmans, dit Rudy. Un vrai showman est là pour raconter l’histoire aux gens, et pour motiver le public. Comme Tyrone en Hollande, avec IBE ! Il faudrait un mec comme lui en France, avec un concept derrière. » Danse et performance « Un jour, alors que je me défiais contre des mecs d’un groupe, dit Gas, certains mecs de ce groupe restaient en arrière, à parler, critiquer. Je leur ai dit de venir danser. Il y en a un qui a refusé sous prétexte que ‘non, moi je ne suis pas dedans, je suis un phaseur*…’ Mais tu es un danseur, oui ou non ? » « Tu ne peux pas ‘être un phaseur’ ou ‘être un passeur*’ dit Yero… Tu es un B-boy, tu danses ! Tu peux kiffer un truc plus qu’un autre, mais dans tous les cas, il faut danser ! Si tu ne fais que des phases, ce n’est pas de la danse. C’est de la performance. Tu vas danser un peu au début avant de commencer, et après tu ne feras que t’envoler, t’envoler… C’est bien, c’est une partie du Break, mais ce n’est pas un tout. » « Et puis un danseur est censé danser sur de la musique, dit Gas. Nous, quand on va en soirée, on n’a pas besoin de descendre au sol pour faire des six steps*. On fait notre kiff, on s’amuse, on danse, on ‘rock’* ! Si tu ne fais que sauter sur la main, ou que coupole*, tête*… » « C’est un besoin de danser, dit Yero. » « Il y en a qui savent qu’ils ne peuvent pas faire ça, dit Gas, parce qu’ils n’ont aucune connaissance de la danse, de ce qu’ils font. Alors ils vont se jeter sur les mains, comme des singes ! » « En fait, dit Rudy, ils ont pris la partie la plus facile du Break : les phases, c’est facile à reproduire. Quoi qu’il arrive, les phases, au bout de 5 ans, tu les auras. Même si tu as un tout petit écart… Alors que la danse, c’est personnel. Ca se travaille et ça ne se travaille pas… » « La danse, c’est un tout, dit Yero. Il faut savoir comment mélanger tous les éléments du Break. Et adapter ça à la musique, avec ton style, ta personnalité. Tu dois tout faire ressortir. » « L’attitude, le feeling… La personnalité, il faut qu’on te reconnaisse, dit Rudy. » « Et pour savoir faire ce mélange, il faut des acquis, dit Yero. Des bases. »

Def Dogz crew not only hip hop
Romeo – Murph Photography

Le style Def Dogz

« Le style Def Dogz, c’est un style confus, dit Yero. Parce qu’on s’inspire un peu de tout. Tu vas chercher du Shaolin, tu prends le style d’un animal, tu rentres dans une forêt ! On essaye de faire des moves originaux, on recherche… » « C’est facile d’avoir beaucoup de trucs, mais pour que ça soit original, dit Rudy, c’est plus dur… Un breaker original aura toujours plus de mérite. Il faut ramener un truc, sinon ça ne fait rien avancer ! »» « On cherche toujours à être le plus original possible, dit Gas, sans faire de la merde bien sûr (c’est facile d’être original en faisant de la merde) ! Il faut être technique, créatif, mais tout ça en restant dans les vraies bases. Sinon, ce n’est plus du Break. Des breakers qui font de la salsa, par exemple, vont trouver des nouveaux pas tous les jours, mais ça ne sera pas du Break, ça sera de la salsa.» « On s’inspire du style old school, de mecs qu’on a vus danser à l’ancienne, dit Yero. Les mecs, quand tu les voyais danser, tu sentais le vrai dans leur danse. Par exemple, un mec pourra faire un footwork* de base, mais il aura un style, un toucher… Et ça, avoir du style dans une base ! » « Il y en a qui portent vraiment leur truc, dit Gas. Au contraire, un mec peut arriver devant toi et faire un uprock*, et tu vas sentir qu’il ne le vit pas vraiment. Il va jeter ses bras en avant et dans tous les sens… Alors que quand tu fais un uprock, si tu sors ton gun, tu le sors vraiment, tu tires vraiment, tu le ranges vraiment ! On doit voir que si tu avais eu un gun, tu aurais tiré pour de vrai ! » « C’est l’attitude ! dit Rudy. » « Il y en a qui rentrent chez eux et qui se disent qu’il faut qu’ils regardent telle ou telle vidéo pour voir ce qu’il y a de nouveau, dit Gas. Pour avoir une nouvelle inspiration, pour trouver des nouveaux mouvements… Nous, on parle de trucs qui n’ont rien à voir, comme le Kung-Fu… Malcom X, par exemple, peut m’inspirer : dans le film, il a une petite démarche, avec son chapeau… Je me dis : tiens, je vais rentrer dans ce battle avec cette démarche, ça va me donner un style ! » « Un clochard qui danse dans la rue, ça peut t’inspirer, dit Yero. Tout peut t’inspirer, tout le temps. » « Un chat peut t’inspirer, un chien, un cheval, n’importe quoi ! dit Gas. Un mouton, même ! » « La position, la posture, c’est ça que tu regardes, dit Yero. Tu reprends ça à ta sauce. C’est ça la créativité. Les peintres, les poètes, ils se mettent dans des cadres bizarres pour faire leur truc ! Nous, avec notre Break, on fait la même chose. La créativité, ça vient de tout : de ton état d’esprit, de ta manière de vivre, de comment tu as grandi… Tout ça joue dans ta danse. » Combinaisons complexes et surprenantes de passe-passes, de phases, de techniques, le tout avec style et impact, dans une énergie fluide, en jouant avec la subtilité de la musique… « Notre style, dit Yero, c’est un mélange de techniques, de vitesse, d’attitude, de style… Le mélange le plus explosif que possible : un cocktail Molotov ! »

Si vous souhaitez (re)lire la première partie

Anne

Danseuse et chorégraphe de la Compagnie par Terre, Anne Nguyen est avant tout breakeuse. Elle a dansé avec plusieurs groupes de break (RedMask à Montréal ; Phase T, Def Dogz et Créteil Style à Paris…), et a participé à des centaines de battles, en solo ou en groupe, dont plusieurs d'envergure qu'elle a remportés comme l'IBE 2004 ou le BOTY 2005. Elle a jugé de nombreux battles, comme le BOTY 2006 ou le Redbull BC One 2007. Elle apparaît dans le film documentaire Planet B-Boy (2007). Après avoir été interprète pour des compagnies hip-hop et contemporaines, Anne Nguyen crée la Compagnie par Terre en 2005 pour mettre en avant les principes et énergies de la danse hip-hop dans des spectacles aux symboliques universelles. Elle a créé plusieurs pièces dont le solo Racine Carrée (2007), les duos Yonder Woman (2010) et Lettres à Zerty (2015), la marche pour huit poppeurs PROMENADE OBLIGATOIRE (2012), le quatuor féminin Autarcie (....), création 2013, et le "bal mécanique sur musique de chambre" bal.exe, création 2014 pour huit poppeurs et cinq musiciens classiques. Combinant une danse technique et performante à une écriture chorégraphique très graphique, déstructurée et épurée, ses créations évoquent l'abstraction et questionnent la place de l'être humain dans le monde contemporain. Anne est également auteure de poèmes, de textes courts et d’articles sur la danse (Danser, Repères, cahier de danse). Des extraits de son recueil de poèmes le Manuel du Guerrier de la Ville ont été publiés dans le magazine Graff It !, pour lequel elle a été rédactrice en chef de la section danse. Elle mène depuis 2012 à Sciences Po Paris un atelier de pratique artistique et de réflexion sur la danse hip-hop, intitulé Hip-hop, une culture contemporaine. En 2016, Anne Nguyen créera Danse des guerriers de la ville, un parcours choré-graphique participatif et immersif composé d’une dizaine d’installations et de performances dansées in situ, inspiré de ses poèmes du Manuel du Guerrier de la Ville. En 2017, elle créera Kata, un spectacle pour huit breakeurs mettant en forme l’énergie guerrière du break.

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