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L’origine et l’histoire des battles selon Somy

Quand on parle de battle de danse, la plupart des gens le rattache spontanément à la culture Hip Hop et son lieu de naissance les ghettos du Bronx avec toute l’imagerie de violence et d’exclusion que ce quartier évoque. D’où les nombreux articles ou récits qui parlent de danse pour remplacer les combats de rue entre gangs dans les années 70, comme si rien ne pouvait se construire dans l’amour. Cette idée reçue que les jeunes du Bronx ont arrêté de se battre grâce au breakin est peut-être dû à deux choses : le mouvement de pacification lancé par la Zulu Nation et la promotion de cette danse dans les clubs undergrounds et branchés de Manhattan.

Mais d’où vient en réalité le battle de danse ?

Cette pratique remonterait au 16e ou 17e siècle et trouverait son origine en Irlande où il était courant d’organiser des compétitions pour établir qui élu le meilleur danseur de danses traditionnelles et couronnait du titre de master ou king of dance. Quand la première vague d’immigration irlandaise débarqua dans le Nouveau monde, il avait emmené avec eux cet esprit du battle qui allait faire partie de la culture américaine.

Dans la culture hip hop, les premiers battles ou défis se font durant les soirées de Dj Kool Herc et Coke La Rock, lorsqu’ils mixent dans les gymnases, les maisons de quartiers où dans les clubs comme l’Hevalo ou L’Executive Playhouse en 1973/74. A la base, il y a le public qui forme un cercle naturellement autour d’un danseur quand celui-ci commence à s’exprimer énergiquement avec des pas très élaborés sur le rythme de la musique. Comme il est de coutume dans les cultures africaines de faire du question réponse, car on a ici à faire à des jeunes de descendance africaine, le cercle s’agrandit pour mettre en lumière le danseur et permettre à d’autres danseurs de lui répondre.

Kool Herc
Coke La Rock

Dans ces premières soirées les danseurs qui s’affrontent dansent en même temps dans ce cercle que l’on appelle aussi cypher, sans forcément se mettre face à face, et c’est le public qui désigne le vainqueur. Le ou les danseurs victorieux gagnent à cette période la reconnaissance de tout le monde, notamment celle des jeunes filles, car on a affaire à des jeunes de 16 à 18 ans en général pour qui la séduction est importante. A l’époque, les danseurs deviennent après les dj’s, les premières superstars du quartier, bien avant les rappeurs.

Rocking Contest : Rock steady crew VS Dynamic Rockers by Martha Cooper

Une autre forme de battle voit le jour aux alentours de 1975 avec les danseurs de la Zulu Nation d’Afrika Bambaata. Vous ne pouviez intégrer le groupe seulement après avoir vaincu au moins un des membres des cinq Zulu Masters à l’origine de cette formation, cette pratique se fera toujours en soirée et pas n’importe où dans la rue.

Mighty Zulu Kings

Fin 1976, le battle prend encore une nouvelle tournure avec l’arrivée massive de très jeunes danseurs issus de la communauté latinos. La plupart ont entre 11 et 12 ans quand ils commencent, c’est le cas des membres de Rockwell Association, un des tout premier groupe de breakeurs portoricains qui sont très imprégnés par la culture de gang. Cette nouvelle génération très provocatrice et prête à en découdre à tout moment n’hésite pas à se déplacer d’un quartier à un autre pour se mesurer à quiconque dit être un bon danseur et ce peu importe l’endroit, en soirée, à l’école où dans la rue. Cette manière de faire va persister jusque dans les années 80 avec les crews que le reste du monde connaît le mieux, les New City Breakers ou Le Rock Steady Crew.

De nombreux témoignages évoquent des bagarres systématiques après les battles à la fin des années 70 et au début 80, surtout quand c’est le public qui choisit les vainqueurs. Cette attitude de bagarreur, on la retrouve rapidement dans une des scènes du films Beatstreet, quand les New York City Breakers croisent le Rock Steady en soirée et que sans l’intervention du type qui fait la sécurité, une bagarre aurait explosé.

Un héritage guerrier qui sera présenté à tous les danseurs Hip Hop en Europe, en Asie et en Afrique, comme étant l’exemple de l’attitude à avoir en battle et qui va être atténué lorsque certains décideront de faire en sorte que tous les concurrents se serre la main pour éviter toutes dérives violentes, notamment en Europe où nous n’avons pas vraiment la culture du gang.

Le concept de battle tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec un jury qui décide du danseur ou du crew victorieux avec une récompense serait né en 1979 dans le Bronx au gymnase de Saint-Martin of Tours, lors du battle qui opposa Rockwell Association à une équipe de mercenaire amené par Spy (Crazy Commanders), des membres de Starchild La Rock et de The Disco Kids.

Trac 2 & Spy

Somy King

Pierre Mendy plus connu sous le nom de Somy dans le milieu hip hop, dé- couvre cette culture en 1984 par le biais de la danse. En 1989, il intègre le groupe de graffeurs ASA/DUC à Colombes en banlieue parisienne. Lorsqu’il n’est pas en mission avec ses amis accros à la bombe de peinture, Somy passe son temps à écouter de la Black music et à chercher des infos sur ses artistes préférés. Comme beaucoup de jeunes de son entourage, il tombe amoureux du rap français qui en est tout juste à ses premiers balbutiements. Toujours très proche dela scène graffiti, même s’il peint et taggue que très peu, il cofonde avec quelques membres de son groupe le fanzine hip-hop franco-québécois Keep It Real, diffusé en France et au Canada. Ce petit journal le pousse à faire des interviews, avec cette nouvelle compétence Somy rejoint l’équipe de l’émission “Flow Masters“ sur la radio Fréquence Paris Pluriel de 1999 à 2003. La danse ayant toujours une place importante, il dirige de 2003 à 2006 la troupe de danseuses Funky Ladies (dont la danseuse Antoinette Gomis fait partie), leur donnant l’opportunité de tourner à travers la France et dans quelques pays d’Europe. À la même période, il anime l’émission de télé “Hip Hop en Autarcie“ sur la chaîne pirate Télé Tolbiac à Paris. Il intègre un collectif de vidéastes nommé UN-SIX-ZÉRO avec lequel il tourne des vidéoclips, des courts-métrages et participe à des battles vidéo, dont celui qui est resté mythique contre le collectif Kourtrajmé de Romain Gavras et Kim Chapiron. Son amour boulimique pour la danse et la musique étant toujours intacte, avec l’aide de deux amis dj’s, Somy se lance dans l’organisation d’événements pendant trois ans, avec les soirées hip-hop “Paris Old School“ et les soirées soul/funk “Get On The Bus à Paris“. De 2007 à 2011, il donne des cours d’histoire de la culture hip-hop à des jeunes de 15/17 ans pour les colonies de l’entreprise EDF. La transmission devient pour lui une chose évidente, c’est donc avec cet objectif en tête qu’il se met à faire des recherches plus approfondies et à déconstruire certains mythes autour de cette culture. Somy va commencer à partager son savoir en fabricant une exposition itinérante de quarante panneaux retraçant les débuts du mouvement hip-hop en France et aux USA, conçu avec Dj Psycut. En 2013, les conférences musicales qu’il donne un peu partout, deviennent l’outil principal dans sa quête du savoir et du partage. En 2018, il rejoint l’équipe de la page Facebook Hip Hop Archives qui compte plus de 400 000 abonnés, où il partage ses compétences. Depuis octobre 2021, il donne des cours d’histoire de culture afro-américaine et de la culture Hip Hop au sein de la formation professionnelle Passeur Culturel en danses Hip-Hop à Cergy. Grâce aux travaux de recherches qu’il continue d’accomplir et au nombre grandissant de conférences qu’il donne, Somy compte désormais parmi les spécialistes incontournables de la culture hip hop en France. Son prochain objectif, l’écriture d’un livre sur les origines du rap.

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