On The Floor : AHMED EL JATTARI & KARIM BAROUCHE (partie 1)
Cet article a été rédigé avec l’accord de Anne Nguyen ancienne rédactrice du magazine Graff It, un remerciement spécial à Olivier Jacquet, rédacteur en chef de Graff It (Magazine qui n’existe plus).
Compagnons d’enfance, deux jeunes de Créteil découvrent le break dans les années 80, et rejoignent le mouvement dans la période où il est perçu comme un phénomène de mode voué à la disparition. En développant sa gestuelle, ils contribuent à donner au break un second souffle, qui aura un rayonnement international. Ils participent aux premiers pas de la danse hip-hop sur scène, lui ouvrant de nouveaux horizons. Aujourd’hui, ils continuent à œuvrer pour le développement de la danse et de la culture hiphop.
Rencontre avec Karim Barouche et Ahmed El Jattari.
Les débuts « Avec Ahmed, étant gamins, notre passion de tous les jours, c’était le sport, dit Karim Barouche. » « On faisait des acrobaties dans l’herbe, dans les bacs à sable, avec un vieux matelas à ressorts,
raconte Ahmed El Jattari… On faisait des sauts d’étages (comme les Yamakasi), c’était un truc de rue. » « A l’époque, dit Karim, il y avait beaucoup de drogues dans les quartiers, on voyait beaucoup de gens mal tourner. Nous, ce qui nous importait, c’était de ne pas rester à rien faire. On inventait des activités : avec du papier journal et du scotch, on faisait une balle, avec un pied de table et une balle de tennis, on jouait au base-ball… » Le break leur est venu tout naturellement, progressivement. « Déjà avant l’émission H.I.P. H.O.P.* (1984), il y avait des anciens du quartier qui faisaient du smurf, raconte Karim.
À cette époque et pendant celle de l’émission, on ne regardait la danse hip-hop que de loin… Avant de me mettre au break, j’ai fait un peu de tag, de graff, de rap… Jusqu’au moment où j’ai trouvé ce qui me correspondait le plus, la danse. C’était en 1988. »
« On a été influencés par H.I.P. H.O.P., comme tout le monde, dit Ahmed. A Créteil, il y avait déjà des danseurs, comme Betty, la famille Benta (Polo, Christian, Gilbert, Joël), Roc Leminy, Feyssal Sedik… En 1984, j’ai été au cours de Sydney, qui faisait le tour de toutes les banlieues.
Vers 1986, quand il y a eu la mode du up rock, j’ai appris quelques bases. Karim, lui, commençait déjà à breaker, et je regardais souvent les entraînements. Au fur et à mesure, je m’y suis mis, et je me suis
vraiment lancé en 1990. »
Un phénomène de mode dépassé « Quand j’ai connu le Hip-Hop, avec l’émission, tout le monde était dedans, explique Karim. Même le mec qui sortait de son bureau en costard-cravate s’arrêtait pour regarder les jeunes danser dans la rue… » Après H.I.P. H.O.P., la popularité du Hip-Hop chute.
« On disait que c’était un phénomène de mode qui était passé, dit Ahmed… On s’entraînait dans les centres commerciaux, dans des lieux isolés, et les gens qui passaient disaient qu’on faisait les serpillères… »
« Pendant cette période, peu de gens croyaient au Hip-Hop, dit Karim. Ce qui faisait le plus parler les médias, c’étaient les bandes. Ils avaient repris le terme « Zulu » de la Zulu Nation*, en le faisant rimer avec bandits. Ça donnait une mauvaise image, et ça a fait que beaucoup de gens se sont détachés de la culture Hip-Hop. »
Entrée dans le milieu « On m’avait parlé d’un groupe qui s’appelait Aktuel Force, dit Karim.
A l’époque, ils étaient réputés dans toute l’Europe. Feyssal Geribi, Houssine Lamraoui et moi, qui avons commencé le break ensemble, nous avons décidé de les chercher… En 1990, on nous a orientés vers la salle de Nabil (Quintessence) à Saint-Denis, où on a rencontré Gabin.
C’est comme ça que les nouveaux membres d’Aktuel Force se sont formés : Gabin, Feyssal et moi, Ibrahim Dembélé, Hassan, Karima, Karim de Choisy, Mimo, le Tek, Kamala. On s’entraînait, on faisait des chorégraphies pour monter des shows, des démonstrations dans les MJC…»
« Je m’entrainais avec Karim, à Maisons-Alfort les Juilliottes, ou au centre commercial de Créteil Soleil, raconte Ahmed.On avait un groupe à Créteil, les Mercenaires (avec Saïd, Jérôme, Moktar, puis Nacera, Khalifa, Laurent, Fly). »
A cette époque, il y a peu de danseurs, et peu d’informations. « Moi, ma seule source, c’était Beat Street, dit Karim. C’était le film qui reflétait le plus l’état d’esprit du Hip-Hop. Il y avait aussi Break Street 84*, mais le scénario n’était pas du tout Hip-Hop… Je me suis fait une idée du Hip-Hop grâce à ce que des danseurs de la première génération comme Xavier, Blaise ou Gabin (membres fondateurs d’Aktuel Force) m’ont raconté de la tournée d’Afrika Bambaataa, « New York City Rap » (1982). Ils parlaient aussi des soirées au Bataclan, au Globo, de l’ambiance et des cercles… C’est comme ça que je me suis formé, avec des images. »
Une atmosphère d’échange « A l’époque, le seul endroit où tu pouvais rencontrer les gens, c’était Châtelet-les-Halles, explique Karim. C’était un lieu d’échange, connu internationalement. A n’importe quelle heure de la journée, n’importe quel jour, tu y croisais des parisiens, des provinciaux, des étrangers… On n’était pas beaucoup à danser sur la place de la Rotonde, et forcément, les gens n’osaient pas trop s’aventurer. Nous, on voulait que ça soit humain, qu’il y ait la notion de respect.
Les gens qui rentraient comme ça sans demander, on les recalait. En sortant des Halles, on allait manger ensemble, on discutait : français, étrangers, blancs ou noirs, on ne faisait pas de distinction… Comme on n’était pas nombreux, et qu’on était mal vus par la société, dès que tu rencontrais un gars du move, tu te retrouvais. D’ailleurs, c’était valable qu’il soit activiste ou pas : il pouvait juste faire partie d’un posse, c’est-à-dire supporter ce que tu faisais, ton état d’esprit…» A l’époque, la danse hip-hop ne vit que grâce à un petit nombre de passionnés.
« Il n’y avait pas de battles organisés, dit Karim, mais si on avait entendu dire qu’il y avait un défi quelque part, à Bruxelles par exemple, on partait à l’aventure… »
Le milieu n’étant pas médiatisé, sa dynamique est encore indissociable de la notion de partage…
« On faisait des cercles, mais c’étaient des échanges, dit Ahmed. Tu montrais que tu étais là, dans une atmosphère de respect. On s’apportait mutuellement. »
Les premiers pas de la danse hip-hop sur scène En 1992, le directeur du Théâtre Contemporain de la Danse (TCD, devenu CND), Christian Tamet, invite de nombreuses compagnies de danse parisiennes à Charleroi (Belgique), pour un festival de danse hip-hop. A l’affiche, Crazy Legz du Rock Steady Crew, des shows de hype…
En 1993, il organise un stage d’un mois et demi, ouvert à tous, proposant une formation en cirque, danse contemporaine et danse hiphop (enseignée par Gabin, Storm (Allemagne), Emilio (Italie) et Easy Rock (LA)) « Des danseurs sont venus de toute la France, raconte Karim. C’est d’ailleurs là que beaucoup de futurs chorégraphes comme Mourad Merzouki ou Kader Attou, qui étaient des circassiens, se sont mis à la danse hip-hop. Christian Tamet voulait, grâce à ce stage, repérer des danseurs pour ensuite monter un spectacle, et montrer aux institutionnels que les danseurs hip-hop avaient du talent, et qu’ils étaient sérieux, respectueux… Les institutionnels n’y croyaient pas, ils lui disaient qu’on allait tout saccager… »
Ils créent « Sobedo, un Conte Hip-Hop » à quatre compagnies, au total vingt danseurs : Boogie Saï, Macadam (futur Choréam), Art Zone, Aktuel.
Après deux mois de répétitions au TCD, ils se produisent au Casino de Paris (1994), puis dans toute la France. « A la suite de ça, énormément de gens ont commencé à danser, dit Karim.
Ca a ouvert une autre perspective de la danse hip-hop : on pouvait créer des spectacles, raconter une histoire… »
La création Aktuel Force crée « Hip-Hop Story » au TCD (1994). Dans la distribution, on retrouve les pionniers allemands Storm et Swift. En 1996, ils présentent« Evolution », aux Rencontres Nationales de Danse Urbaine, à La Villette, organisées par Christian Tamet (première édition du festival, rebaptisé par la suite « Rencontres de la Villette »). Pour cette même édition des Rencontres, Karim, Régis Truchy, Hakim Maïche, Ibrahim Dembélé et DJ Tal créent « Séquences d’une Vie » au sein de MBDT.
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